La richesse de la langue arabe

Comment décrire la langue arabe et ses richesses ?

Le poète égyptien Hafiz Ibrahim (1872-1932), surnommé le “ poète du Nil “, l’a décrit en ces termes :

أَنَا البَحْرُ فِي أَحْشَائِهِ الدُّرُّ كَامِنٌ فَهَلْ سَأَلُوا الغَوَّاصَ عَنْ صَدَفَاتِي

“ Je suis la mer (qui a) dans ses entrailles des perles cachées
Ont-ils interrogé le plongeur sur mes coquillages ? “

Dans ce vers de poésie, le célèbre poète a comparé l’étendue de la langue arabe et de ses trésors, avec la mer qui regorgent de perles et contient d’innombrables bienfaits.

Puis, dans un style interrogatif suggérant la fierté, il a donné aux sens de la langue arabe et à ses structures l’image de précieux coquillages.

Si Allah (ﷻ) a honoré la langue arabe en la choisissant pour sa dernière révélation, le Coran, il y a une raison.

En effet, son vocabulaire et ses structures sont extrêmement riches, ce qui permet une clarté dans l’expression qui n’a pas d’équivalence chez les autres langues.

Dans cet article, nous nous sommes intéressés à la richesse du champ lexical de la langue arabe, et plus précisément à ce qui tourne autour :

  • des lettres de l’alphabet ;
  • des racines ;
  • et des significations.

La richesse lexicale

Citons un nombre pour vous donner une idée de la richesse du champ lexical de la langue arabe : 12 305 412.

Douze millions trois cent cinq milles quatre cent douze.

A quoi correspond-il ? Il s’agit du nombre total de combinaisons permettant de former des mots en arabe.

Ce nombre impressionnant a été obtenu mathématiquement par le grand savant de la langue arabe Al Khalîl Ibn Ahmad Al Farâhîdî (718-791).

Certains linguistes occidentaux réfutent ce résultat, car il prendrait en compte des mots qui n’ont aucun sens dans la langue arabe.

Cependant, un projet lancé en 2013 tend à confirmer les recherches d’Al Farâhîdî.

En effet, le “ Dictionnaire historique de Doha de la langue arabe “ (قَامُوسُ الدُّوحَة التَّارِيخِي لِلُّغَةِ العَرَبِيَّة) recense déjà plus de 5 millions de mots et est encore loin d’être achevé.

Cette profusion de mots permet de s’exprimer avec exactitude et précision, ce qui fait de la langue arabe une langue complète.

Chaque partie d’un être humain, d’un animal ou d’un objet peut être désignée clairement, ce qui la distingue des autres langues.

Il est également possible d’ordonner et de décrire chaque étape liée à des ressentis ou des processus naturels avec des termes distincts.

A titre d’exemple, le terme général en arabe pour désigner l’amour est “ al houb “ (الحُبّ).

Cependant, chez les arabes, l’amour a des degrés, 14 pour être exact :

  1. al hawaa (الهَوَى), l’attirance ;
  2. a-ssâbwa (الصَّبْوَة), l’insouciance ;
  3. a-sshaghaf (الشَّغَف), la passion ;
  4. al wajd (الوَجْد), l’obsession ;
  5. al kalaf (الكَلَف), aimer au point d’en souffrir ;
  6. al 3ishq (العِشْق), l’amour ardent ;
  7. a-nnajwa (النَّجْوَى), l’amour mêlé de tristesse, après une séparation par exemple ;
  8. a-sshawq (الشَّوْق), le manque ;
  9. al wasâb (الوَصَب), l’amour qui fait souffrir ;
  10. al istikaana (الاِسْتِكَانَة), la soumission ;
  11. al woudd (الوُدّ), l’amour mêlé d’amitié ;
  12. al 3ishra (العِشْرَة), il s’agit d’un degré supérieur au précédent, au point où ils ne peuvent se passer de la compagnie de l’autre ;
  13. al walah (الوَلَه), l’amour qui implique la présence de l’être aimé pour être heureux ;
  14. al houyaam (الهُيَام), l’amour excessif, la folie.

Les exemples comme celui-ci sont nombreux : les différentes phases de la lune, les différents stades de vie d’un homme en fonction de l’âge…

Tous les spécialistes, anciens ou contemporains, orientaux ou occidentaux, s’accordent sur le fait que la langue arabe est une des langues les plus anciennes, l’une des plus authentiques et l’une des plus expressives.

Enfin, l’étymologie et l’étude de la racine des mots montrent que la langue arabe a plus donné de vocabulaire aux autres langues, qu’elle n’en a emprunté.

Les caractéristiques des lettres arabes

La langue arabe a la particularité de posséder l’échelle phonétique la plus large des langues connues.

En effet, leur point d’articulation se répartissent à partir des lèvres jusqu’à la zone la plus éloignée de la gorge, c’est-à-dire au niveau du larynx et des cordes vocales.

S’il est vrai que l’alphabet de certaines langues contient plus de lettres que celui de la langue arabe, il faut savoir que plusieurs points de sortie auront tendance à se concentrer sur une même zone (la bouche par exemple) et leur échelle de répartition au sein de l’organe phonique sera plus courte que celui de la langue arabe.

Quant aux points d’articulation des lettres arabes, ils sont équitablement répartis, ce qui permet une harmonie et un équilibre entre les sons.

Le choix des lettres dans la formation des racines ne doit rien au hasard :

  • elles doivent respecter une harmonie vocale ;
  • elles ont en elles des valeurs expressives.

1/ Une harmonie vocale

La langue arabe tient compte de l’harmonie vocale et musicale dans la répartition et l’ordonnancement des lettres au sein d’un même mot.

Il fait partie des conditions de l’éloquence de s’éloigner de ce que l’on appelle la dissonance, c’est-à-dire de la réunion de sons dont la simultanéité ou la succession est désagréable ou difficile.

C’est pour cela que, de base, certaines ne sont jamais réunies dans un mot.

A titre d’exemple :

  • la lettre zay (ز) : un mot avec la lettre zay (ز) ne contiendra jamais les lettres dhâa (ظ), siin (س), dâad (ض) et dhal (ذ) ;
  • la lettre jiim (ج) : un mot avec la lettre jiim (ج) ne contiendra les lettres qaaf (ق), dhâa (ظ), tâa (ط) et ghayn (غ).

Si ces lettres se trouvent au sein d’un même mot, cela viendrait du fait que c’est un terme qui a été arabisé et qui n’est donc pas d’origine arabe, comme :

  • al qabaj (القَبَج), qui est un mot d’origine perse qui signifie “ la perdrix grise “ ;
  • khazakistan (كَازَاخِسْتَان), le Kazakhstan.

L’exception confirmant la règle, il se peut que l’utilisation d’un mot dissonant devienne éloquent si le contexte le demande.

Le meilleur exemple de cela étant le vers de poésie d’un grand poète de l’époque préislamique arabe, Imru’l Qays (امرؤء القيس), dans lequel il a utilisé le terme “ moustashziraat “ (مُسْتَشْزِرَاتٌ), dont on conviendra aisément de son caractère dissonant :

(غَدَائِرُهُ مُسْتَشْزِرَاتٌ إلى العُلَا تَضِلُّ المَدَارِي في مُثَنَّى وَمُرْسَل).

Dans ce vers, Imru’l Qays décrit les tresses de sa bien-aimée et leur abondance.

En employant le terme (مُسْتَشْزِرَاتٌ), il a voulu de par sa sonorité forte que l’on puisse s’imaginer l’aspect de cette chevelure qu’il avait comparée à un palmier dans les vers précédent.

2/ Des valeurs expressives

Une autre caractéristique qui distingue la langue arabe de toutes les autres, tient dans le fait que chaque lettre implique une signification.

En d’autres termes, elles ont une fonction descriptive et une valeur expressive.

Ainsi, le qaaf (ق) fait référence à la force, le daal (د) à l’intensité, le raa (ر) à la répétition…

  • Par exemple, la lettre ghayn (غ) indique, entre autres, le sens de la dissimulation et de ce qui est invisible. Signification que l’on retrouve dans les termes :
  • ghaaba (غَابَ), être absent ;
  • ghaasâ (غَاصَ), s’immerger/plonger ;
  • ghaama (غَامَ), être couvert (de nuages).

La lettre jiim (ج) implique, entre autres, le sens du regroupement :

  • jama3a (جَمَعَ), rassembler/réunir ;
  • jamara (جَمَرَ), se rassembler ;
  • jamala (جَمَلَ), réunir/rassembler.

L’influence des lettres sur la signification d’un mot n’existe que dans la langue arabe.

Les lettres des langues latines par exemple, n’ont pas toutes ces différences en termes de signification.

Plusieurs mots peuvent partager les mêmes lettres, mais cela étant, ce n’est pas une preuve qu’ils ont un sens commun.

En français, les mots “ lèvre “, “ œuvre “ et “ livre “ s’écrivent tous les trois avec les lettres v-r-e, pourtant, ils n’ont rien en commun.

Les premiers arabes ont choisi les lettres d’un mot en fonction de leur force.

Ainsi, les lettres les plus faibles, les plus légères et les plus discrètes furent utilisées pour les actions ou les sons de faible intensité.

A l’inverse, les lettres les plus puissantes, les plus fortes et les plus audibles furent utilisées pour toute action, son ou ressenti à forte intensité.

L’un des exemples les plus parlant sur ce sujet a été rapporté par Abu Mansur ath-Tha’alibi (961-1038) dans “ fiqh al lougha “ (فِقْهُ اللُّغَة), dans lequel il a cité les termes désignant le son émanant d’une personne qui exprime une plainte ou un douleur, et ce, en fonction de son intensité.

Si ce son est :

  • dissimulé, il est appelé al haniin (الهَنِين) ;
  • légèrement audible, al haniin (الحَنِين) ;
  • plus fort, al aliin (الأَلِين) ;
  • d’une l’intensité encore supérieur, al khaniin (الخَنِين) ;
  • un cri, a-rraniin (الرَّنِين).

Le choix des lettres a donc son importance dans le vocabulaire arabe, tout comme la manière dont elles sont ordonnées.

Prenons en exemple le verbe “ jarra “ (جَرَّ) qui signifie “ tirer “.

Ce mot commence par la lettre jiim (ج), car c’est une lettre dont la prononciation est forte et lorsque l’on commence à tirer quelque chose, celui qui tire comme ce qui est tiré, sont tous les deux soumis à une difficulté, une tension.

Ensuite, vient la lettre raa (ر), car elle a la particularité d’impliquer la répétition au niveau de la prononciation et de la signification.

En général, lorsque l’on tire quelque chose à même le sol, il est ballotté de haut en bas de manière répétée à cause de la difficulté.

On voit donc que, parmi toutes les autres lettres, le jiim (ج) et le raa (ر) étaient celles qui possédaient les caractéristiques les plus adaptées au sens de tirer.

L’antagonisme

Le célèbre linguiste Ahmed Ibn Faris (941-1004), auteur du dictionnaire “ Maqaayis al lougha “ (مَقَايِيسُ اللُّغَة) a dit : “ Il fait certes partie de la tradition des arabes de nommer deux contraires avec un seul mot. “

Parmi les caractéristiques qui distinguent la langue arabe des autres langues, le fait qu’un terme possède des significations antagonistes.

C’est-à-dire qu’il peut désigner une chose et son contraire.

Cela peut paraître étonnant qu’il y ait un lien entre deux sens contradictoires, mais en y réfléchissant, n’est-ce pas la relation la plus proche pour notre esprit ?

En réalité, le contraste est une sorte de point commun : lorsque l’on mentionne une signification, notre esprit aussi aura tendance à se repérer en imaginant également son contraire.

Si l’on me parle de la couleur blanche, mon esprit aura tendance à penser à son opposé, le noir, et ce, justement à cause de leur antagonisme profond.

La joie évoque la tristesse, la richesse évoque la pauvreté, la beauté évoque la laideur…

Tous ces termes sont aussi différents les uns des autres que leur sens.

Cependant en arabe, certains mots peuvent évoquer deux significations contraires, que l’on comprendra en fonction du contexte.

Par exemple, le terme jalal (جَلَل) peut s’utiliser pour désigner d’une chose facile et de peu d’importance ou pour quelque chose de grandiose.

Ses deux significations opposées apparaissent clairement dans ces deux verres de poésies :

  1. (كلُّ شَيْءٍ مَا خَلا المَوْتَ جَلَلْ وَالفَتَى يَسْعَى ويُلْهِيهِ الأمَل)
    “ Toute chose sauf la mort est insignifiante Et le jeune garçon s’efforce et est distrait par l’espoir “.
  2. (قَوْمِي هُمُ قَتَلُوا أُمَيْمَ أخي … فَإِذَا رَمَيْتُ يُصِيبُنِي سَهْمِي
    فَلَئِنْ عَفَوْتَ لَأَعْفُوَنْ جَلَلاً … وَلَئْنْ سَطَوْتُ لَأُوهِنَنْ عَظْمِي)
    “ Mon peuple a tué mon frère ô Oumaima Si je tire ma flêche m’atteindra
    Si je pardonne je pardonnerai certes une chose immense Et si je me venge j’affaiblirai mes os “.

Voici d’autres exemples de mots ayant des significations antagonistes :

  • jawn (جَوْن) : blanc/noir ;
  • a-ssâriim (الصَّرِيم) : la nuit/le jour ;
  • a-ssha3b (الشَعْب) : la séparation/le rassemblement ;
  • al ouzr (الأُزْر) : la force/la faiblesse ;
  • basîir (بَصِير) : celui qui voit/l’aveugle ;
  • shiraa (شِرَاء) : vente/achat.

Un mot peut aussi désigner une chose et son contraire en fonction de la particule qui l’accompagne.

Par exemple, raghiba ilaa (غَرِبَ إِلَى) signifie “ désirer/aspirer “. Allah (ﷻ) a dit dans la sourate a-ssharh (الشَّرْح) :

﴾ وَإِلَىٰ رَبِّكَ فَارْغَبْ ﴿
﴾ Et à ton Seigneur aspire ﴿.

Alors que raghiba 3an (رَغِبَ عَنْ) signifie “ refuser “, comme dans sourate al baqara (البَقَرَة) :

﴾ وَمَنْ يَرْغَبُ عَنْ مِلَّةِ إِبْرَاهِيمَ إِلَّا مَنْ سَفِهَ نَفْسَهُ ﴿
﴾ Qui donc aura en aversion la religion d’Abraham, sinon celui qui sème son âme dans la sottise ? ﴿.

Onomatopées et vocabulaire

L’onomatopée est un processus permettant la création des mots dont le signifiant est étroitement lié à la perception des sons émis par des êtres animés ou des objets (Larousse).

Dans la langue arabe, comme dans différentes langues, l’onomatopée est un moyen important dans la formation des mots.

Par exemple en français, le verbe miauler est issu de “ miaou “, une onomatopée reproduisant le son du chat.

En arabe, on remarque la présence de nombreux termes ressemblant à des sons.

Exemples :

  • al mouwaa (المُوَاء) le miaulement ;
  • al 3ouwaa (العُوَاء) le hurlement du loup ;
  • a-sshakhiikh (الشَّخِيخ) le ronflement ;
  • al qahqaha (القَهْقَه) l’éclat de rire ;
  • al basmala (البَسمَلَة), qui est un terme désignant la formule bi-smillah.

Abu al Fath Uthmān ibn Jinnī (934-1002) a d’ailleurs dédié un chapitre à ce sujet dans son livre “ Al khasâa-is “ (الخَصَائِص), dans lequel il a cité deux célèbres savants de la langue arabe, Al Khalîl Ibn Ahmad Al Farâhîdî et Sibawayh (d. 796), pour étayer ses propos.

La variation des voyelles et leur importance

En arabe, il convient de faire la différence entre les voyelles terminales et celles qui composent les mots.

Ces deux notions font parties de deux sciences distinctes, mais primordiales :

  • la grammaire, que l’on appelle a-nnawhou (النَّحْو) ;
  • et la morphologie, appelée a-ssârf (الصَّرْف).

1/ Les voyelles dans la grammaire

La variation des voyelles terminales s’étudie avec la science de la grammaire, c’est ce que l’on appelle le i3raab (الإعْرَاب) et cela ne concerne que la fin des mots.

Le i3raab (الإعْرَاب) permet de connaître la fonction d’un mot lorsqu’il est dans une phrase et ainsi distinguer le sujet du complément d’objet direct par exemple.

La connaissance de ces changements de voyelles est donc primordiale pour comprendre une phrase correctement.

Le fait de les prononcer lorsque l’on s’exprime évite les ambiguïtés.

Si je dis (ضَرَبَ عُمَر زَيْد), dans cette phrase il y a un doute car je n’ai pas prononcer les voyelles terminales : est-ce que c’est Omar qui a frappé ou bien Zayd ?

Par contre, si je les prononce et dit (ضَرَبَ عُمَرُ زَيْدًا), il n’y a plus de place au doute et le sens de la phrase est “ Omar a frappé Zayd “.

Le i3raab (الإعْرَاب) est une particularité de la langue arabe et fait partie de ses richesses.

2/ Les voyelles dans la morphologie

Le sârf (الصَّرْف), permet entre autres de connaître les voyelles à l’intérieur des mots. Elles sont très importantes dans leur signification.

En effet, plusieurs mots peuvent être constitués exactement des mêmes lettres, mais ce qui va les différencier au niveau du sens, ce sont les voyelles qui les accompagnent.

Par exemple :

  • (مفتح) : les arabes prononcent miftah (مِفْتَح) avec une kasra sur le miim (مِ), pour désigner “ une clé “, alors qu’ils prononcent maftah
  • (مَفْتَح) avec une fatha sur le miim (مَ), pour désigner l’endroit d’ouverture.
  • (مقص) : ils prononcent miqas (مِقَصّ) avec une kasra sur le miim (مِ) pour désigner les ciseaux, alors qu’ils prononcent maqas (مَقَصّ) avec une fatha sur le miim (مَ) pour désigner l’endroit qui est coupé.

Ces changements de voyelles au sein d’une même structure contribue à la richesse du vocabulaire de la langue arabe et sa précision.

La dérivation, al ishtiqaaq (الاِشْتِقَاق)

Dans cette partie, nous allons aborder tout ce qui a attrait aux racines des mots arabes, ce qui constitue très certainement ce qui distingue le plus la langue arabe des autres langues.

En arabe, les mots possèdent un corps et une âme.

La grande majorité ont une racine trilitère, ce qui facilite la compréhension et la mise en pratique, car généralement les lettres sont ordonnées de manière logique et sont en lien les unes avec les autres.

C’est ce que l’on appelle “ al ishtiqaaq “ (الاِشْتِقَاق), la dérivation.

Parmi toutes les langues sujettes aux dérivations, l’arabe est certainement la plus marquée par cette caractéristique.

Pour se rendre compte de cela, voyons la différence entre les racines de la langue française et les racines de la langue arabe.

La différence entre les racines arabes et françaises

La construction de famille de mot à partir d’une racine n’est pas inconnue en français. Par exemple, en partant du mot “ lard “ on obtient : larder, lardoir, lardeur…

Cependant, ce procédé n’est pas systématique et régulier comme en arabe.

Notons également qu’en français, une fois que l’on a retiré les suffixes et les préfixes aux racines de bases, ces dernières ne sont pas toujours utilisées.

Par exemple, avec le mot “ chercher “, une fois dénué de son suffixe “ er “, on obtient la racine “ cherch “ qui n’est pas utilisée seule.

Les mots de la langue arabe ne vivent pas de manière isolée, au contraire ils forment des communautés dont chacunes se rejoignent autour d’une même racine, comme une famille.

Tous les mots dérivés d’une même racine possèdent un sens commun et ce sont les lettres que l’on ajoute qui leur donnent un sens supplémentaire.

Tous conservent un sens commun et des lettres communes, mais chaque modification de la racine implique un sens nouveau.

Les mots se déclinent de manière logique au moyen de procédés applicables à toutes les racines de la langue arabe.

Les dérivation d’une racine s’obtiennent par des ajouts :

  • soit au moyen des 10 lettres regroupées dans la phrase (سَأَلْتُمُونِيهَا) ;
  • soit par la répétition de manière visible d’une lettre déjà présente dans la racine, comme dans (قُعْدُد), ou au moyen d’une shadda, comme dans (عَلَّمَ).

Ces ajouts ne sont pas le fruit du hasard, car la dérivation consiste à extraire des mots à partir d’une racine et à les former selon des modèles phonétiques bien définis appelés awzaan (أَوْزَان), des schèmes.

Toutes les racines qui se déclinent sur un wazn (وَزْن) identique auront de ce fait un sens commun.

Par exemple, le ism al faa3il (اِسْمُ الفَاعِل) – dérivation indiquant que la personne fait l’action du verbe de base – des racines trilitères se forme à partir d’un wazn unique “ faa3il “ (فَاعِل) :

  • kaatib (كَاتِب), celui qui écrit ;
  • tâalib (طَالِب), celui qui étudie ;
  • saariq (سَارِق), celui qui vole ;
  • dâarib (ضَارِب), celui qui frappe.

Ce système de racine-wazn s’avère très utile pour celui qui apprend l’arabe, car il lui permet d’enrichir rapidement son vocabulaire, de deviner des mots qu’il n’a pas encore appris et de comprendre la majorité des mots issus d’une racine commune.

Ce système comprend plusieurs variétés de déclinaison qui permettent d’obtenir des dizaines d’autres mots issus d’un seul et même verbe.

Par exemple, à partir du verbe 3alima (عَلِمَ) qui signifie “ étudier “ on obtient entre autres :

  • mou3allim (مُعَلِّم), un enseignant ;
  • mou3allam (مُعَلَّم), l’instruit ;
  • mouta3allim (مُتَعَلِّم), l’apprenant ;
  • 3aalim (عَالِم), un savant ;
  • mouta3aalim (مُتَعَالِم), celui qui montre sa science ;
  • 3allaama (عَلَّامَة), un (grand) savant ;
  • ma3louuma (مَعْلُومَة), une information ;
  • 3alaama (عَلَامَة), une marque, un signe ;
  • ma3lama (مَعْلَمَة), une encyclopédie ;
  • mousta3lim (مُسْتَعْلِم), celui qui demande une connaissance ou une information ;
  • isti3laam (اِسْتِعْلَام), une enquête.

Chaque nouvelle dérivation acquiert un sens qui lui est propre, tout en conservant le sens général commun à toutes les autres dérivations formées à partir de la même base.

Les mots moudarris (مُدَرِْس) “ enseignant “, moudarrisa (مُدَرِّسَة) “ enseignante “, diraasa (دِرَاسَة) “ étude « … sont issues d’une seule et même racine “ darasa “ (دَرَسَ) qui signifie “ apprendre “.

Autre exemple, en partant de la racine trilitère “ kataba “ (كَتَبَ) qui signifie écrire, on obtient :

  • kaatib (كَاتِب) celui qui fait l’action d’écrire “ un écrivain “ ;
  • kitaab (كِتَاب) ce qui est écrit “ un livre “ ;
  • maktouub (مَكْتُوب) ce qui est écrit ;
  • kitaaba (كِتَابَة) l’action d’écrire “ l’écriture “
  • maktab (مَكْتَب) l’endroit où l’on écrit “ un bureau “.

On remarque que les lettres de la racine kaaf-taa-baa (كتب) sont à chaque fois présentes, le sens commun entre tous ces mots est donc lié à l’action d’écrire.

Si l’on prend d’autres racines et que nous les déclinons sur le même modèle, les modifications impliqueront les mêmes sens que précédemment.

Par exemple :

  • tâlaba (طَلَبَ) étudier → tâalib (طَالِب) celui qui étudie “ un étudiant “ ;
  • alaha (أَلَهَ) adorer → ilaah (إِلَه) celui qui est adoré “ une divinité “ ;
  • 3abada (عَبَدَ) adorer → ma3bouud (مَعْبُود) celui est adoré ;
  • qara-a (قَرَأَ) lire → qiraa-a (قِرَاءَة) l’action de lire “ la lecture “
  • la3iba (لَعِبَ) jouer → mal3ab (مَلْعَب) l’endroit où l’on joue “ un stade “.

Cette particularité de la langue arabe n’est pas forcément présente dans les autres langues.

Par exemple, la racine trilitère arabe alif-khaa-waa (أَخَوَ) a donné les termes akh (أَخ) “ frère “ et oukht (أُخْت) “ soeur “, alors qu’ils n’ont aucun lien étymologique en français (frère,soeur) ou en anglais (brother,sister).

Le sens des wazn les plus courants

Ajouter des lettres précises a une racine trilitère permet d’obtenir une nouvelle signification en plus de celle de départ.

Il existe de nombreux schèmes, mais nous allons nous intéresser ici, aux dérivations des verbes les plus courants.

Pour illustrer le sens de chaque wazn, nous avons sélectionné plusieurs verbes trilitères auxquels nous allons ajouter des lettres.

Chacun de ses verbes a une racine dont le wazn correspond au modèle de fa3ala (فَعَلَ).

أَفْعَلَ
Le wazn af3ala (أَفْعَلَ) s’obtient en ajoutant une hamza (أ) au début du verbe. Au niveau du sens, cet ajout permet de transposer l’action d’un verbe sur un deuxième élément.

Par exemple, le verbe kharaja (خَرَجَ) signifie “ sortir “.

En ajoutant la hamza au début de cette racine, on obtient akhraja (أَخْرَجَ), dont la signification est “ faire sortir “.

فَعَّلَ
Le wazn fa33ala (فَعَّلَ) s’obtient par l’ajout d’une shadda. En termes de signification, cet ajout permet d’indiquer que l’action se répète plusieurs fois.

Par exemple, qata3a (قَطَعَ) signifie “ couper “.

L’ajout de la shadda donne le verbe qattâ3a (قَطَّعَ) qui signifie “ couper en plusieurs morceaux “.

فَاعَلَ
Le wazn faa3ala (فَاعَلَ) s’obtient par l’ajout d’un alif. Cette modification de la racine permet ici d’indiquer que plusieurs éléments sont associés dans une même action.

Par exemple, jalasa (جَلَسَ) signifie “ s’asseoir “.

En ajoutant le alif, on obtient jaalasa (جَالَسَ) qui signifie “ s’asseoir avec quelqu’un “.

اِنْفَعَلَ
Le wazn infa3ala (اِنْفَعَلَ) s’obtient par l’ajout des lettres (ان) au début de la racine trilitère, ce qui va permettre permet de faire passer l’élément qui a subit l’action comme étant le sujet du verbe.

Par exemple, kasara (كَسَرَ) signifie “ casser “, alors que inkasara (اِنْكَسَرَ) signifie “ se casser “.

Pour que cela soit encore plus clair, voyons cela dans une phrase :

  • kasara mohamed al kouuba (كَسَرَ مُحَمَّدٌ الكُوبَ), Mohamed a cassé le verre ;
  • inkasra al kouubou (اِنْكَسَرَ الكُوبُ), Le verre s’est cassé.

اِفْتَعَلَ
Le wazn ifta3ala (اِفْتَعَلَ) s’obtient en ajoutant un alif (ا) et un taa (ت) à la racine trilitère. Ce wazn permet entre autres, de manifester l’action du verbe.

Par exemple, 3adhara (عَذَرَ) signifie “ excuser, pardonner “, alors que i3tadhara (اْعْتَذَرَ) signifie “ présenter ses excuses “.

تَفَعَّلَ
Pour le wazn tafa33ala (تَفَعَّلَ), on ajoute un taa (ت) et une shadda à la racine de base. Ce wazn permet entre autres, d’indiquer que le sujet s’efforce de produire l’action du verbe afin de l’obtenir.

Par exemple shajou3a (شَجُعَ) signifie “ être courageux “ et tashajja3a (تَشَجَّعَ) signifie “ s’encourager “.

اِسْتَفْعَلَ
Le wazn istaf3ala (اِسْتَفْعَلَ) s’obtient en ajoutant les lettres (است) au début de la racine trilitère. Ce wazn implique généralement une demande liée au verbe d’origine.

Par exemple ghafara (غَفَرَ) signifie “ pardonner “.

En ajoutant ces 3 lettres on obtient istaghfara (اِسْتَغْفَرَ) qui signifie “ demander de pardon “.

Des racines et des sens

La grande majorité des mots arabes sont issus de racines trilitères. Ces assemblages de 3 lettres peuvent indiquer une ou plusieurs significations en fonction de la racine concernée.

Concrètement, quel sens implique la racine kataba (كَتَبَ) ? Quel sens commun auront les mots construits à partir de la racine janna (جَنَّ) ?

Connaître le sens d’une structure de base permet de comprendre le cheminement des arabes dans leur manière de penser et l’élaboration de leur vocabulaire.

Ci-dessous découvrez quelques-unes de ces racines et leur signification.

1/ كتب
La racine kataba (كَتَبَ) indique le fait d’assembler une chose avec une autre. C’est à partir de cette signification de base qu’est né le mot kitaab (كِتَاب) qui signifie “ un livre “ et qui n’est autre qu’un assemblage de feuilles manuscrites.

L’écriture est appelée kitaaba (كِتَابَة), car cela consiste à assembler des lettres entre elles.

Le mot maktab (مَكْتَب), “ un bureau “, est dérivé de kataba (كَتَبَ), car un lieu où l’on écrit.

Qu’est-ce qui nous prouve que les arabes ont utilisé cette racine dans d’autres contextes que l’écriture pour indiquer qu’une chose est assemblée avec une autre ?

Lorsque l’un d’entre eux avait joint les lèvres de l’utérus de sa mule avec un anneau, il disait (كَتَبْتُ الْبَغْلَةَ).

2/ جن
La racine janna (جَنَّ) implique le sens de ce qui est caché. De cette signification générale est issu le mot al janna (الجَنَّة), qui signifie “ le Paradis “.

Al janna (الجَنَّة), constitue la demeure des musulmans dans l’au-delà et il s’agit d’une récompense qui leur est actuellement cachée.

Le mot janna (جَنَّة) a également le sens de boustaan (بُسْتَان) “ un jardin “. Il a été appelé ainsi du fait que les arbres cachent avec leurs feuilles.

Le foetus est appelé al janiin (الجَنِين) car il est “ caché “ dans le ventre de sa mère. Les arabes appellent également celui qui est mort et enterré al janiin (الجَنِين).

Il est de connu que le coeur se dit al qalb (القَلْب) en arabe, mais il est aussi appelé al janaan (الجَنَان) du fait qu’il soit caché dans la poitrine.

Les djinns sont appelés al jinn (الحِنّ) car les humains ne peuvent pas les voir.

Enfin, la folie se dit al jinna (الجِنَّة) ou al jounouun (الجُنُون), car elle couvre l’esprit du fou, qui lui, n’est autre que al majnouun (المَجْنُون).

3/ حزن
La racine hazana (حَزَنَ) implique la rudesse d’une chose et la difficulté qu’il y a en elle. Al hazn (الْحَزْنُ) c’est un sol qui s’est durci. َ

Al houzn (الْحُزْنُ) signifie la tristesse, quant à celui qui est triste il est appelé al haziin (الحَزِين).

Al houzouuna (الحُزُونَة) désigne aussi bien la tristesse que la rudesse ou la dureté du sol.

La famille et les proches, ceux qui sont importants pour nous et pour lesquelles on s’attriste sont appelés al houzaana (الحُزَانَة).

4/ بدع
La racine bada3a (بَدَعَ) indique le commencement d’une chose et son exécution de manière nouvelle et inventée, qu’il s’agisse d’actes ou de paroles.

Le verbe bada3a (بَدَعَ) signifie donc inventer/créer et le terme bid3a (بِدْعَة), une innovation.

Parmi les noms d’Allah (ﷻ) il y a “ al badii3 “ (البَدِيع).

Al badii3 (البَدِيع) c’est le Créateur, celui qui a créé toute chose sans qu’elles n’aient été précédées d’un exemple semblable.

Allah (ﷻ) a également dit dans sourate al ahqaf en parlant du Prophète Mohamed (ﷺ) :
﴾ قُلْ مَا كُنْتُ بِدْعًا مِنَ الرُّسُلِ ﴿

Le mot bid3 (بِدْع) signifie al awwal (الأَوَّل), c’est-à-dire “ le premier “. Le sens rapproché du verset étant donc ﴾ Dis : Je ne suis pas une innovation parmi les Messagers ﴿.

5/ دين
La racine dayana (دَيَنَ) indique un genre de soumission et d’humiliation.

Le terme a-ddiin (الدِّين) peut donc avoir le sens de a-ttâa3a (الطَّاعَةُ), l’obéissance. C’est la raison pour laquelle que les arabes disent “ daana lahu “ (دَانَ لَهُ) si un homme s’est soumis et a obéis.

D’ailleur, un peuple qui obéit et se soumet est appelé qawmoun diinoun (قَوْمٌ دِينٌ).

Une ville est appelée madiina (مَدِينَة) en arabe, parce qu’elle est administrée par un gouverneur qui est obéit.

C’est aussi de cette racine que vient le terme “ dayn “ (دَيْن) qui signifie une dette.

6/ عرب
La racine 3araba (عَرَبَ) possède plusieurs sens parmi lesquels celui de “ l’expression “.

Les arabes disent (أَعْرَبَ الرَّجُلُ عَنْ نَفْسِه) s’il a exprimé clairement ce qu’il avait en lui.

De là vient le terme i3raab (إِعْرَاب) utilisé dans la grammaire, et ce, car c’est le i3raab permet de comprendre la fonction et donc le sens des mots dans une phrase.

C’est aussi de cette racine que vient le mot 3arab (عَرَب) qui désigne le peuple arabe. Ils ont été appelé ainsi, car ils parlent al 3arabiyya (العَرَبِيَّة), l’arabe, qui est la plus claire et la plus expressive des langues.

D’innombrables livres ont été écrits sur la richesse de la langue arabe et la particularité de son système de racine desquelles se décline son vocabulaire.

Il faudrait donc bien plus qu’un simple article pour en évoquer tous ses aspects.

Cependant, nous espérons que notre modeste contribution vous aura permis d’en apprendre davantage sur ce sujet et qu’elle vous motivera à étudier cette langue magnifique.

Quel que soit ton niveau, comprends enfin l'arabe littéraire comme il se doit