Quel dialecte arabe est le plus proche de l’arabe littéraire ?

Un célèbre proverbe arabe dit “ Les habitants de La Mecque connaissent le mieux ses chemins “ (أَهْلُ مَكَّةَ أَدْرَى بِشِعَابِهَا).

Les locuteurs d’un dialecte sont encore ceux qui le connaissent le mieux, mais sont-ils les mieux placés pour juger qu’il est plus ou moins proche de l’arabe littéraire que les autres dialectes arabes ?

Chaque locuteur aura tendance à prétendre que son dialecte est celui qui se rapproche le plus de l’arabe littéraire.

Cependant, peut-on affirmer clairement que tel dialecte est le plus proche de la langue arabe pure ?

Répondre à cette question est plus complexe qu’il n’y paraît, car cela nécessite de connaître l’histoire de la langue arabe et l’évolution des dialectes arabe.

C’est une question qui demeure jusqu’à nos jours un sujet de discussion entre les gens, mais existe-t-il un consensus des linguistes à ce sujet ?

Sur quels critères se baser pour déterminer cela de manière scientifique : la prononciation des lettres ? Le vocabulaire ? Le respect des règles de grammaire et de conjugaison ?

De l’Orient à l’Occident, voyageons ensemble à travers l’histoire fascinante des dialectes arabes et découvrons quel est celui qui a conservé le plus de proximité avec la langue arabe.

L’origine des dialectes

L’ensemble des dialectes arabe sont issus d’un seul et même système linguistique : l’arabe littéraire.

Pour comprendre ce qu’est l’arabe dialectal, il est nécessaire de répondre à cette question : qu’entend-on par arabe littéraire ?

Premièrement, le Coran, puis les hadiths du Prophète Mohammed (ﷺ), sont les références immuables de la langue arabe.

Le Coran est la parole d’Allah (ﷻ), le miracle avec lequel Il a mis au défi les arabes, alors maîtres de l’éloquence, de composer un équivalent à ne serait-ce que la plus courte des sourates.

Comme dans sourate al baqara (سُورَةُ البَقَرَة) :

وَإِن كُنتُمْ فِي رَيْبٍ مِّمَّا نَزَّلْنَا عَلَىٰ عَبْدِنَا فَأْتُوا بِسُورَةٍ مِّن مِّثْلِهِ وَادْعُوا شُهَدَاءَكُم مِّن دُونِ اللَّهِ إِن كُنتُمْ صَادِقِينَ (23) فَإِن لَّمْ تَفْعَلُوا وَلَن تَفْعَلُوا (24)

Traduction rapproché du sens : Si vous avez un doute sur ce que Nous avons révélé à Notre Serviteur, tâchez donc de produire une sourate semblable et appelez vos témoins, (les idoles) que vous adorez en dehors d’Allah, si vous êtes véridiques (23) Si vous n’y parvenez pas et, à coup sûr, vous n’y parviendrez jamais (24).

Quant au Prophète (ﷺ), il était le plus éloquent des hommes.

Allah (ﷻ) lui a donné le don de formuler des paroles concises qui renferment énormément de sens.

D’après Abou Hourayra (رَضِيَ اللَّهُ عَنْهُ) le Prophète (ﷺ) a dit : “ J’ai reçu six mérites par rapport aux autres prophètes : il m’a été donné les paroles concises ayant beaucoup de sens… “. Rapporté par Mouslim.

Deuxièmement, pour déterminer le sens des mots, des règles de grammaire, des règles de conjugaison et de la rhétorique, les linguistes s’accordent unanimement sur une période limite pour se référer aux paroles des arabes : l’an 150 de l’hégire.

Ce qui implique :

  • le Coran ;
  • les paroles du Prophète (ﷺ) ;
  • les poèmes de l’époque préislamique ;
  • les paroles des arabes en accord avec les 3 points précédents, et ce, jusqu’au milieu du 1er siècle de l’hégire.

L’an 150 de l’année hégirienne correspond à l’an 767 du calendrier grégorien.

Cette période inclut donc la dynastie des Omeyyades qui s’étend de l’an 661 à l’an 750, mais également le début de la dynastie des Abbassides (750-1517) jusqu’à la conquête de la Perse et la fondation d’une nouvelle capitale de l’empire musulman à Bagdad en 762.

Pourquoi se limiter à cette date pour se référer aux sens et aux règles de la langue arabe ?

Parce que jusqu’à cette période, les linguistes considèrent que la langue arabe n’a pas encore subi l’influence des langues non arabes.

En effet, la propagation de l’islam dans le monde a permis à de nombreux peuples non arabe de se convertir à l’islam et d’agrandir la commauté musulmane.

De nouveaux dialectes sont alors apparus, nés d’un mélange entre l’arabe littéraire et les langues des populations nouvellement converties.

Par la suite, de nombreux facteurs ont également contribué à l’évolution et à la naissance d’autres dialectes :

  • les échanges commerciaux ;
  • les migrations ;
  • la colonisation.

De nos jours, les dialectes arabes modernes couvrent un immense espace.

Ils sont plus ou moins éloignés les uns des autres en fonction de l’histoire de chaque pays, de sa zone géographique et des modes de vie (citadin, bédoin…).

Les dialectes sont tellement nombreux qu’il existe de multiples dialectes au sein d’un même pays.

Ces dialectes sont appelés en arabe “ darija “ (الدَّارِجَة) ou “ 3amiyya “ (العَامِّيَة).

L’arabe dialectale est le langage de communication direct et instantané utilisé par les populations arabophones dans leur quotidien, mais il n’a de pas, de base, vocation à être retranscrit.

Ils ont la particularité d’être en perpétuelle évolution, contrairement à l’arabe littéraire qui est resté tel quel depuis l’époque de la révélation.

Il faut savoir que les arabes de l’époque préislamique et de l’époque de la révélation, parlaient différentes variantes de la langue arabe, que l’on peut qualifier de dialectes arabes anciens.

Certains sont toujours parlés de nos jours, comme loughat qays (لُغَةُ قَيْس) ou loughat tamim (لُغَة تَمِيم).

Cependant, ils sont considérés comme étant éloquents, il convient donc de différencier ces dialectes anciens de ceux présents de nos jours.

L’évolution des dialectes

La langue arabe étant la langue du Coran, de l’islam et des musulmans, elle s’est répandue en même temps que l’islam.

La naissance des dialectes est dûe à deux facteurs :

  1. le mélange des arabes avec les non arabes ;
  2. l’apparition d’erreurs de langage.

Pour nous parvenir ainsi, leur évolution s’est faite par étapes.

L’élargissement du territoire musulman

Les dialectes modernes remontent aux conquêtes musulmanes et plus particulièrement au califat de Omar Ibn Al Khattab (رَضِيَ اللَّهُ عَنْهُ).

En effet, pendant son règne (634-644) l’empire musulman s’est considérablement étendu vers l’Irak, le Levant et l’Égypte.

Les arabes et les non arabes ont alors vécu en communauté et se marièrent entre eux.

Ces creusets virent l’apparition de nouveaux mots et d’erreurs de langage, car ces régions nouvellement conquises parlaient des langues vernaculaires différentes :

  • les habitants du Levant parlaient le syriaque (une langue dérivée de l’araméen) en plus de l’arabe ;
  • en Egypte, la population parlait copte ;
  • en Irak les habitants parlaient un mélange de syriaque, d’arabe et de persan ;
  • au Maghreb, les habitants parlaient le berbère.

Sachant cela, Omar ibn Al Khattab avait mis en garde contre le délaissement de la langue arabe au profit de celles des pays nouvellement conquis.

Le dialecte qui est apparu à cette époque était simple, compris de tous et encore très proche l’arabe littéraire.

Les gens ont commencé à ne plus respecter les règles de grammaire inhérentes à la terminaison finale des mots, ce que l’on appelle “ al i3raab “.

Par exemple, au lieu de dire (أَعْطِينِي خُبْزًا بِدِهْرَمَيْنِ), “ Donnes moi du pain pour deux dinars “, ils disaient (أَعْطِينِي خُبْزًا بِدِهْرَمَانِ).

Effectivement, “ deux dinars “ se dit à la base “ dihramaani “ (دِهْرَمَانِ), mais dans la grammaire arabe, lorsque l’on ajoute “ bi “ (بِ) au début d’un mot, comme c’est le cas ici, cela modifie la terminaison finale.

C’est la raison pour laquelle en arabe littéraire correcte il aurait fallu prononcer “ dihramayni “ (دِهْرَمَيْنِ) avec un yaa et un noun (ينِ) à la fin et non pas un alif et un nouun (انِ).

Ce fut le début du délaissement du i3raab dans le langage de la vie quotidienne.

Si dans cet exemple précis il s’agit d’une erreur de langage qui n’a pas d’impact sur le sens en lui-même, cela peut parfois s’avérer problématique et sujet à quiproquo.

Le récit de l’érudit Abu al Aswadi Ad-Duali (603-688) et de sa fille sera plus parlant pour les néophytes.

Un soir, elle dit à son père (مَا أَجْمَلُ السَّمَاءِ), que l’on peut traduire par “ Quel est la plus belle chose dans le ciel ? “.

Il répondit : “ an-noujouum “ (النُّجُوم), “ Les étoiles “.

Elle lui expliqua alors qu’elle ne voulait pas poser une question, mais exprimer son admiration.

Abu al Aswadi lui a donc dit de dire (مَا أَجْمَلَ السَّمَاءَ), ce qui signifie “ Que le ciel est beau ! “.

Que remarque-t-on entre ces deux phrases ?

Dans la première phrase, sa fille a prononcé le mot “ ajmal “ (أَجْمَل) avec une dâmma – “ ajmalou “ (أَجْمَلُ) – et le mot “ as-samaa “ avec une kasra “ – as-samaa-i “ (السَّمَاءِ) – donnant à la phrase une tournure interrogative.

Dans la deuxième, les mot “ ajmal “ (أَجْمَل) et “ as-samaa “ (السَّمَاء) sont prononcés avec une fatha, ce qui donne à la phrase le sens de l’admiration.

Il a été rapporté qu’un homme a fait des erreurs de langage en présence de Souleyman Ibn Abdel Malik Ibn Marwan, le 7ème calife (715 à 717) de la dynastie des Omeyyades à la fin du 1er siècle de l’hégire.

Il dit (إِنَّ أَبِينَا هَلَكَ، وَتَرََكَ مَالٌ كَثِيرٌ، فَوَثَبَ أَخَانَا عَلَى مَالِ أَبَانَا، فَأَخَذَهُ), en prononçant une kasra à la place d’une fatha, des dâmma à la place des fatha et des fatha à la place des dâmma !

Alors qu’il aurait dû dire (إنَّ أَبَانَا هَلَكَ، وَتَرَكَ مَالًا كَثِيرًا، فَوَثَبَ أَخُونَا عَلَى مَالِ أَبِينَا فَأَخَذَهُ), “ Notre père est mort et a laissé beaucoup d’argent, et notre frère s’est jeté sur l’argent de notre père et l’a pris “.

Souleyman Ibn Abdel Malik qui maîtrisait la langue arabe et ne supportait les erreurs de langage se mit en colère et ordonna qu’on le fasse sortir (mou3jam al oudabaa d’al-Hamawi – مُعْجَمُ الأُدَبَاءِ لِلْحَمَوِي).

On rapporte également qu’un homme questionna Hassan Al Basri (رَحِمَهُ اللَّهُ) (641-728), mais commis des erreurs de langage : (يَا أَبَا سَعِيدٍ مَا تَقُولُ فِي رَجُلٍ مَاتَ وَتَرَكَ أَبِيهِ وَأَخِيهِ ؟).

“ Ô Abou Said que dis-tu d’un homme qui est mort et à laisser son père et son frère ? “

Hassan Al Basri apporta alors des corrections à ses propos : (!! تَرَكَ أَبَاهُ وَأَخَاهُ).

L’homme lui demanda en voulant se corriger : (فَمَا لِأَبَاهُ وَأَخَاهُ ؟).

“ Quelle est (la part) de son père et de son frère ? “.

Hassan Al Basri le corrigea de nouveau : (إِنَّمَا هُوَ فَمَا لِأَبِيهِ وَأَخِيهِ).

L’homme lui dit alors : “ Que ton désaccord avec moi grand ! “

Ce à quoi répondit Al Hassan : “ C’est toi qui a un grand désaccord avec moi, je t’appelle à ce qui est correct et tu m’appelle à la faute ? “. (mou3jam al oudabaa d’al-Hamawi – مُعْجَمُ الأُدَبَاءِ لِلْحَمَوِي)

Le califat Abbasside

La dynastie des Abbassides marque un tournant dans l’évolution de l’arabe dialectal, surtout au cours du califat d’Al Mu`tasim bi-llah (833-842).

Ce dernier avait fait le choix de s’appuyer sur les perses et les turcs en raison de leur force, mais à cause des divisions au sein de l’empire abbasside, ils devinrent influents dans les affaires du royaume.

Les mots empruntés au perse et au turc se répandirent dans le langage courant et les erreurs de langage augmentèrent considérablement.

Le célèbre historien Ibn Khaldoun (1332-1406) a dit : “ Quand les perses de Daylam, puis les Seldjoukides (tribu d’origine turque) après eux ont régné sur l’Est et que les zénètes (groupe berbère) et les berbères ont régné au maghreb, qu’ils sont devenus roi et qu’ils ont pris le contrôle de tous les royaumes islamiques, la langue arabe fut corrompue “ (mouqadima ibn khaldoun).

Cependant, le pire eu lieu entre 3ème et le 7ème siècle de l’hégire (entre le 9ème et le 13ème siècle du calendrier grégorien), avec en point d’orgue, la chute et la destruction de Bagdad, la capitale de l’empire abbasside, par les mongols en l’an 656 de l’hégire (1258).

En plus des massacres commis, les Mongols détruisirent d’innombrables ouvrages religieux et scientifiques en langue arabe de grande valeur.

A partir de cette période, les gens cherchèrent la facilité et la rapidité dans la prononciation de toutes les manières possibles.

De ce fait, de nombreux changements apparurent.

Par exemple, au lieu de dire :

  • “ foulaan you-dhiinii “ (فُلَانٌ يُؤْذِينِي), “ Untel me fait du tort “, ils se sont mis à prononcer “ foulaan ya-dhiinii “ (فُلَانٌ يَأْذِنِي), puis avec le temps “ foulaan yaadhiinii (فُلَانٌ يَاذِنِي).
  • “ ayyou shay-in touriidou “ (أَيُّ شَيْءٍ تُرِيدُ ؟), “ Que veux-tu ? “, ils dirent “ ash touriid “ (أَشْ تُرِيد ؟).

Dans le premier exemple, ils ont d’abord changé la dâmma (يُـ) (le son “ ou “) en fatha (يَـ) (le son “ a “), puis ils sont passés d’une hamza (ـأْ) à un alif de prolongation (ـَا).

Dans le deuxième exemple, ils ont supprimé pas moins de 3 lettres.

L’Empire ottoman

Sous la domination des Mameloukes, des Seldjoukides et de l’empire Ottoman (1299-1922), la langue arabe s’affaiblit considérablement avec le choix du turc osmanli (un mélange d’arabe, de persan et de turc) comme langue officielle de l’empire.

L’Andalousie

Dans les territoires andalous, les langues ibériques se mélangèrent à celles des conquérants arabes et berbères.

La langue arabe finit par prendre le dessus sur les langues ibériques du fait que les habitants l’apprenaient afin de connaître leur religion.

Ce qui donna naissance au dialecte andalous.

Au départ, le dialecte andalous était très proche de l’arabe littéraire, mais avec le mélange des populations, il évolua.

La prononciation des mots changea et les erreurs de langages se multiplièrent.

Ibn Hazm Al Andalousi Al Qourtoubi, décédé en 456 de l’hégire (1064) (رَحِمَهُ اللَّهُ), a dit : “ Nous constatons que les gens ordinaires ont changés les mots de la langue arabe, un changement loin de leurs origines, comme s’il s’agissait d’une autre langue.

Ils disent pour (العِنَب) (le raisin), (العَيْنَب), (NDLA : ils ont changé la kasra sur le 3ayn en fatha)… pour thalaathati danaanir (ثَلَاثَة دَنَانِير) (trois dinars),(ثُلْثَدَا), (NDLA : ils ont supprimé plusieurs lettres et modifié les voyelles pour ne former qu’un seul mot).

Lorsque le berbère s’exprime et veut dire a-sshajara (الشَّجَرَة) (l’arbre), il dit “ a-ssajara (السَّجَرَة) !

Lorsque celui qui vient de Galice s’exprime, il change (les lettres) 3ayn (ع) et haa (ح) en haa (ه) et dit “ mouhammadan “ (مُهَمَّدًا) s’il veut dire “ mouhammadan “ (مُحَمَّدًا).

Et il y a beaucoup d’exemples comme ceux-ci .“ (al ihkaam fii ousôuul al ahkaam – الإحْكَامُ فِي أُصُولِ الأَحْكَام).

En plus de modifier la prononciation des mots, ils ajoutèrent des mots non arabes. Par exemple au lieu de dire “ abiad “ (أَبْيَض), “ blanc “, ils disaient “ blanca “.

Désormais, le but est de se faire comprendre, sans pour autant se soucier de l’exactitude du propos.

D’ailleurs, si l’on se penche sur le dialecte andalous de cette époque, on remarque qu’il était très proche des dialectes maghrébins parlés de nos jours.

L’influence des dialectes antiques

Nous avons évoqué précédemment que les arabes de l’époque préislamique parlaient différents dialectes arabes qui variaient en fonction des régions.

Ces dialectes antiques n’ont pas le même statut que l’arabe dialectale moderne.

Cependant, certains dialectes contemporains sont issus de ces dialectes arabes anciens, comme au Yémen et dans le sud de l’Arabie Saoudite, où certaines tribus les ont préservés.

Ces dernières parlent des dialectes issus de l’himyarite , une langue ancienne du Yémen.

Parmi ses particularités, l’utilisation d’un alif et d’un miim (أَمْ) à la place du alif laam (ال). Ainsi, ils prononcent “ am rajoul “ (أَمْرَجُل) au lieu de “ a-rrajoul “ (الرَّجُل).

Cette manière de parler est encore présente à notre époque, notamment dans le sud de l’Irak.

Dans de nombreux dialectes arabes modernes, la lettre qaaf (ق) se prononce “ gaa “.

C’est une lettre d’origine perse.

Elle s’est répandue par l’intermédiaire d’une tribu yéménite qui a émigrée dans la péninsule arabique, puis s’est dispersée dans les autres pays musulmans.

Au lieu de dire “ qaala lii “ (قَالَ لِي), “ Il m’a dit “, ils prononcent “ gaala lii “.

En Egypte et au Yémen, la lettre “ jiim “ (ج) se prononce “ guiim “.

Ce qui paraît au premier abord une prononciation dialectale bien marquée, est en réalité héritée d’un dialecte antique.

Il s’agit donc d’une prononciation ancienne qui était présente dans une tribu yéménite et dans la langue de tamim (loughat tamiim).

Il semble que ce soit les habitants de Fostat, la première capitale arabe de l’Egypte, qui ont acquis cette prononciation auprès de yéménite qui vivaient parmi eux.

Le dialecte égyptien a également la particularité d’avoir conservé des mots de l’époque pharaonique.

Par exemple, les égyptiens appellent le pain “ 3aish “, terme qui était utilisé dans les temples pour désigner le pain sacré.

Cette langue égyptienne antique a été renommée le copte, lorsqu’elle fût retranscrite au moyen de l’alphabet grec.

Au Moyen-Orient, le champ lexical des dialectes a lui aussi été influencé par des langues non arabes, comme le perse, le turc, le hindi ou l’anglais.

Comme tous les dialectes arabes, les dialectes de la grande Syrie, également appelés arabe levantin, se sont formés autour d’un mélange de plusieurs dialectes arabes ancestraux et plus particulièrement l’himyarite .

Ils comprennent l’ensemble des dialectes parlés en Syrie, au Liban, en Palestine, en Jordanie et en Israël.

L’influence de l’himyarite est particulièrement visible de nos jours en Palestine et au Liban, mais également en Egypte, dont le dialecte est celui qui a le plus été influencé par le yéménite ancien.

Le colonialisme

Pour terminer, l’époque coloniale européenne marqua une étape importante dans l’évolution des dialectes arabes.

En effet, le colonialisme européen chercha à éloigner les arabes et les maghrébins de la langue arabe de différentes manières, aussi bien au Maghreb, qu’au Levant, en Egypte, en Mésopotamie ou autre.

A titre d’exemple :

  • le colonialisme français avait interdit l’enseignement de l’arabe et rendu obligatoire l’enseignement de la langue française en Algérie, en Tunisie et au Maroc ;
  • le colonialisme italien avait prohibé l’enseignement de la langue arabe en Libye et imposé celui de l’italien ;
  • le colonialisme britannique n’avait pour sa part pas interdit l’enseignement de l’arabe en Egypte, mais avait rendu le salaire des enseignants en langue arabe en dessous de tous les autres.

De ce fait, on retrouve énormément de vocabulaire hérité de l’époque coloniale au sein de ses pays.

Cette époque fut également accompagnée d’une vague orientaliste qui fut suivie par certains habitants qui n’hésitaient pas à militer pour les demandes des colons, comme, entre autres, le délaissement de la langue arabe et la propagation des dialectes maghrébins.

L’avis des linguistes

Personne ne connaît mieux un dialecte que ses propres locuteurs, ils sont donc les plus à même d’évaluer sa proximité avec l’arabe littéraire.

Cependant, ces derniers n’ont pas une connaissance suffisante des autres dialectes pour pouvoir affirmer que le leur est plus proche que les autres.

Les linguistes s’accordent sur le fait que cette question nécessite une étude importante.

Parmi les pistes évoquées pour déterminer le dialecte le plus proche de l’arabe littéraire, aborder cette question sous un autre angle :

  • Premièrement : sur quels critères s’appuyer pour porter un jugement sur la proximité ou l’éloignement d’un dialecte de l’arabe littéraire ?
  • Deuxièmement : comment appliquer ces critères de manière pratique et scientifique afin d’obtenir des résultats scientifiques honnêtes et fiables ?

On comprend de cela qu’il convient de poser un cadre théorique et procédural strict, éloigné des ressentis et convictions personnelles.

Pour la mise en place de cette étude, certains proposent de s’appuyer sur un échantillon de locuteurs issus de tous les horizons, du désert comme des montagnes, et de les réunir au sein d’une même assise en présence d’un comité composé de spécialistes de la langue arabe.

Tout en étant enregistrés, les participants dialogueraient entre eux devant ce comité, puis s’entretiendraient l’un après l’autre avec les membres du comité.

Une autre méthode consisterait à envoyer un comité de linguistes dans tous les pays et régions parlant un arabe dialectal et qu’ils se mélangent aux différentes populations en consignant par écrit leurs remarques et observations.

Chaque dialecte a des caractéristiques particulières qui tendent à l’éloigner du littéraire d’un côté, mais en possèdent d’autres qui l’en rapprochent.

De ce fait, certains linguistes proposent de mettre en place une recherche autour des dialectes par thème, par exemple le domaine vestimentaire, le domaine culinaire…

Puis, pour chaque domaine, d’observer de manière scientifique les similitudes et les différences lexicales, c’est-à-dire :

  • l’origine sémantique des mots ;
  • les changements qu’ils ont subit ;
  • clarifier le mot arabe originel ;
  • exposer les emprunts linguistiques, les mots arabisés…

Il convient de prendre en compte une donnée très importante lorsque l’on étudie le champ lexical des dialectes qui peut rendre la tâche difficile à celui qui les entend.

Cela concerne les changements phonétiques, comme l’omission, l’ajout ou l’inversion des lettres d’un mot.

Au premier abord, on pourrait penser d’un terme qu’il est très loin du littéraire, mais il est possible qu’en tenant compte de ces changements et en les étudiant, son origine littéraire apparaisse clairement.

D’autres linguistes expliquent que les dialectes changent très rapidement.

La réalité d’aujourd’hui n’étant pas toujours celle du lendemain, ils voient qu’il vaut mieux s’abstenir de déclarer que tel dialecte de tel pays est le plus proche.

D’autres sont d’avis qu’il faut fermer cette porte, car cela peut être une cause de fanatisme, de nationalisme et d’intolérance.

Maitenant que nous avons défini un cadre et des procédés pour pouvoir répondre à notre question “ Quel est le dialecte le plus proche selon les linguistes ? “, vous attendez certainement une réponse, n’est-ce pas ?

Au risque de vous laisser sur votre faim, il ressort finalement qu’il est très difficile de déterminer cela.

Pour l’heure, il n’est pas possible d’affirmer qu’un dialecte particulier est le plus proche de l’arabe littéraire, pour la simple raison que cette question nécessite une recherche scientifique sérieuse et stricte qui n’a pas encore été mise en place.

Amusez vous à comparer les dialectes

Un projet participatif a été lancé sur le site reddit.com dans le but de compiler et de rassembler les différents dialectes arabes parlés dans le monde arabe et musulman.

Le principe est simple, chaque participant s’enregistre et raconte la même histoire, mais avec son propre dialecte.

C’est une initiative à la fois intéressante et amusante qui vous permettra de comparer les différents dialectes et de voir, selon vous, quel est celui qui vous semble plus proche de l’arabe littéraire.

La nouvelle qui est utilisée ici est tirée des contes folkloriques très célèbres au Moyen-Orient de Nasreddin Juha.

جُحَا وَالحِمَارُ وَابْنُهُ

فِي يَوْمٍ مِنَ الأَيَّامِ كَانَ جُحَا وَابْنُهُ يَحْزِمُونَ أَمْتِعَتَهُمْ اسْتِعْدَادًا لِلسَّفَرِ إِلَى المَدِينَةِ المُجَاوِرَةِ، فَرَكِبَا عَلَى ظَهْرِ الحِمَارِ لِكَيْ يَبْدَأُوا رِحْلَتَهُمْ. وَفِي الطَّرِيقِ مَرُّوا عَلَى قَرْيَةٍ صَغِيرَةٍ فَأَخَذَ النَّاسُ يَنْظُرُونَ إِلَيْهِمْ بِنَظَرَاتٍ غَرِيبَةِ وَيَقُولُونَ “ اُنْظُرُوا إِلَى هَؤُلَاءِ القُسَاةِ يَرْكَبُونَ كِلَاهُمَا عَلَى ظَهْرِ الحِمَارِ وَلَا يَرْأَفُونَ بِهِ “، وَعِنْدَمَا أَوْشَكُوا عَلَى الوُصُولِ إِلَى القَرْيَةِ الثَّانِيَةِ نَزَلَ الاِبْنُ مِنْ فَوْقِ الحِمَارِ وَسَارَ عَلَى قَدَمَيْهِ لِكَيْ لَا يَقُولَ عَنْهُمْ أَهْلُ هَذِهِ القَرْيَةِ كَمَا قِيلَ لَهُمْ فِي القَرْيَةِ الَّتِي قَبْلَهَا، فَلَمَّا دَخَلُوا القَرْيَةَ رَآهُمُ النَّاسُ فَقَالُوا “ اُنْظُرُوا إِلَى هَذَا الأَبِ الظَّالِمِ يَدَعً ابْنَهُ يَسِيرُ عَلَى قَدَمَيْهِ وَهُوَ يَرْتَاحُ فَوْقَ حِمَارِهِ “، فَلَمَّا أَوْشَكُوا عَلَى الوُصُولِ إِلَى القَرْيَةِ الَّتِي بَعْدَهَا نَزَلَ جُحَا مِنَ الحِمَارِ وَقَالَ لاِبْنِهِ “ اِرْكَبْ أَنْتَ فَوْقَ الحِمَارِ”، وَعِنْدَمَا دَخَلُوا إِلَى القَرْيَةِ رَآهُمُ النَّاسُ فَقَالُوا “ اُنْظُرُوا إِلَى هَذَا الاِبْنِ العَاقِ يَتْرُكُ أَبَاهُ يَمْشِي عَلَى الأَرْضِ وَهُوَ يَرْتَاحُ فَوْقَ الحِمَارِ” ، فَغَضِبَ جُحَا مِنْ هَذِهِ المَسْأَلَةِ وَقَرَّرَ أَنْ يَنْزِلَ هُوَ وَابْنُهُ مِنْ فَوْقَ الحِمَارِ حَتَّى لَا يَكُونَ لِلنَّاسِ سُلْطَةٌ عَلَيْهِمَا، وَعِنْدَمَا دَخَلُوا إِلَى المَدِينَةِ وَرَآهُمْ أَهْلُ المَدِينَةِ قَالُوا “ اُنْظُرُوا إِلَى هَؤُلَاءِ الحَمْقَى يَسِيرُونَ عَلَى أَقْدَامِهِمْ وَيُتْعِبُونَ أَنْفُسِهُمْ وَيَتْرُكُونَ الحِمَارَ خَلْفَهُمْ يَسِيرُ لِوَحْدِهِ “ … فَلَمَّا وَصَلُوا بَاعُوا الحِمَارَ

Juha, l’âne et son fils

Un jour, Juha et son fils ont préparé leurs bagages en préparation d’un voyage vers la ville voisine. Ils montèrent sur le dos de l’âne afin de commencer leur voyage. Sur leur route, ils passèrent par un petit village. Les gens se mirent à les regarder de manière étrange et dirent “ Regardez ces personnes cruelles, ils montent tous les deux sur le dos de l’âne et n’ont pas pitié de lui “. Lorsqu’ils furent sur le point de rejoindre le deuxième village, le fils descendit du dos de l’âne et avança à pied afin que les gens ne disent pas sur eux ce qui leur a été dit dans le village précédent. Lorsqu’ils entrèrent dans le village, les gens les virent et dirent “ Regardez ce père injuste, il laisse son fils avancer à pied et lui se repose sur son âne “. Lorsqu’ils furent sur le point d’arriver au village d’après, Juha descendit de l’âne et dit à son fils “ Montes, toi, sur l’âne “. Lorsqu’ils entrèrent dans le village et que les gens les virent, ils dirent “ Regardez ce fils rebelle, il laisse son père marcher et lui se repose sur l’âne “. Juha se mit en colère à cause de cette affaire et décida que lui et son fils descendent de l’âne afin que les gens n’aient rien à dire sur eux. Lorsqu’ils entrèrent dans la ville et que les gens les virent, ils dirent “ Regardez ces imbéciles, ils avancent à pied et se fatiguent et ils laissent l’âne marcher seul derrière eux “… Quand ils arrivèrent, ils vendirent l’âne.

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